Didacte, c’est une petite entreprise de Québec qui compte à ce jour 11 employés. On est loin d’être sur le modèle de Silicon Valley!
Avec l’entreprise qui grandit, la saine gestion devient de plus en plus importante pour soutenir la mission et la vision organisationnelle. Demeurer agile dans une industrie en changement demande de l’organisation et de la coordination.
Est-ce que c’est difficile d’être une petite équipe? Comment est-ce qu’on s’adapte à cette réalité?
Mathieu et Jean-Philippe nous partagent leur avis et leur expérience par rapport à la gestion d'une petite entreprise!
Mathieu Dumont est président et actionnaire chez Didacte. Entrepreneur, podcaster et mentor en entrepreneuriat, il est un adepte de la saine gestion d’équipe et des bonnes pratiques dans l’administration d’une entreprise en croissance.
Jean-Philippe Doyle est développeur back-end et actionnaire chez Didacte. Il participe à la gestion de l’entreprise, où il est le responsable des finances, et il siège aussi à divers conseils d’administration comme, entre autres, celui de Québec Numérique et du Haricot Magique.
Être une petite entreprise, c’est un avantage ou un inconvénient dans l’industrie de la formation en ligne?
(Jean-Philippe) C’est certain qu’on dirait que c’est un inconvénient d’être petit si on a des visées d’expansion rapide à la Silicon Valley, mais ce n’est pas notre vision.
Je pense qu’en ciblant un marché plus petit, on peut arriver à bien y répondre avec notre petite équipe et notre excellent produit. On arrive à être compétitifs avec notre agilité et la proximité avec nos clients.
La formation en ligne est un grand marché où il y a effectivement de très gros joueurs et c’est vrai que c’est plus difficile avec une petite équipe d’avoir un produit aussi complet que certains de nos concurrents. On ne peut pas toujours concurrencer des entreprises qui ont des millions en investissements et des dizaines de programmeurs!
Nos clients sont moins nombreux, mais ils sont quand même très satisfaits ou même plus satisfaits que chez ces gros joueurs grâce à l’attention qu’on porte au succès de leur projet.
(Mathieu) J’ai toujours aimé les histoires d’underdog. J’adore être dans une position où nous n’avons pas toujours les moyens de nos ambitions. Ça nous force à être créatifs et vraiment comprendre ce qui nous distingue des autres.
Je crois foncièrement que la facilité entraîne la complaisance en affaires. Pour moi, être une petite entreprise n’est ni un avantage ou un désavantage, c’est la vision.
Bien que ceci puisse paraitre contradictoire avec ce qui est populaire dans notre industrie, l’entreprise se développe au profit des gens qui la composent.
C’est ce que l’on appelle une entreprise lifestyle.
L’entreprise doit nous permettre de fournir à nos employés le style de vie que l’on désire collectivement avoir, et non pas avoir un style de vie qui est dicté par les besoins de l’entreprise.
Lorsque l’on dit que Didacte remet l’humain dans la technologie, c’est une des nombreuses façons que l’on concrétise cet énoncé. On fait de notre mieux pour optimiser et grandir par l’intérieur avant d’aller en embauche et « croître pour croître ».
Cette philosophie est très appréciée de nos clients et elle nous permet de garder et nourrir une proximité avec chaque personne qui rentre dans notre univers.
Alors que les gros joueurs se battent pour des chiffres et balancent des + et des - dans des chiffriers, au détriment de l’expérience client, nous on se concentre à solidifier nos relations et veiller à ce que chaque client reste avec nous le plus longtemps possible.
Quels sont les défis et les opportunités que Didacte a rencontrés en tant que PME au point de vue financier?
(Jean-Philippe) Le fait d’être une PME indépendante nous a permis de décider assez rapidement d’investir dans Didacte et d’ajouter le développement d’un produit à nos activités existantes de consultations en développement web presque sur un coup de tête.
Cela dit, étant donné que nous avions un partenaire-investisseur, nous avons dû créer une nouvelle coentreprise avec une comptabilité distincte et cela nous a amené à un certain dédoublement des tâches administratives. Nous avons encore cette double structure avec laquelle nous avons appris à mieux vivre, mais nous envisageons toujours une simplification de la structure lorsque nos ententes de financement le permettront.
Nous sommes également passés par un processus de rachat complet des partenaires initiaux en 2018, ce qui a été à la fois une opportunité de contrôler notre destin et un moment charnière au niveau financier. Les tenants et aboutissants de ce rachat ont dû être mûrement réfléchis et négocié.
Nous avons abouti à une bonne entente avec un moratoire de paiement en capital qui nous a permis de continuer à investir dans Didacte au début puis d’atteindre une vitesse de croissance avant de commencer à rembourser. Ne pas avoir eu besoin de nouveau financement externe pour ce rachat nous a également permis de conserver toute notre indépendance, une valeur importante pour nous.
Un autre défi pour les PME en technologie est l’environnement fiscal dans lequel on doit évoluer et concurrencer.
Les grandes entreprises ont beaucoup plus facilement accès à toutes sortes de subventions que les PME comme Didacte. Celles-ci ont des équipes dédiées à l’obtention de subventions alors que dans une PME, il faut souvent que les actionnaires eux-mêmes s’occupent de cette charge ou qu’on s'adjoigne de consultants externes.
Plusieurs mesures fiscales comme le crédit pour développement en affaire électronique, où un minimum de 6 employés est exigé, désavantagent également les petites entreprises. Ça parait peu, mais c’est un chiffre qui est souvent long à atteindre pour une startup. Et l’exclusion des salaires des employés actionnaires de la mesure est désavantageuse pour les fondateurs techniques.
Je pense que ce programme mériterait d’être mis à jour par nos politiciens pour encourager les startups en technologies, quitte à rendre l’accès à la mesure plus progressive si l’objectif est d’encourager une croissance. On vient juste de l’obtenir pour fêter nos 5 ans et j’en suis bien content, mais j’aurais aimé y avoir accès pour nous aider à investir plus rapidement dans le produit durant nos 5 premières années.
Je tiens à dire que je ne souhaite absolument pas que la vision de notre entreprise soit orientée par les subventions, mais on ne peut pas en faire abstraction pour être concurrentiel dans notre environnement.
(Mathieu) Pour faire du pouce sur ce que Jean-Philippe mentionne, il y a différentes façons de développer et de faire croître une entreprise.
Pour nous, la volonté de développer l’entreprise en toute indépendance financière était très importante. Chaque dollar généré par l’entreprise est réinjecté dans celle-ci, c’est ce qu’on appelle être bootstrap.
Cette approche vient avec une croissance moins rapide, et sans surprise, notre marché évolue très vite. Nous avons donc dû accepter de dire non à des opportunités ou à des marchés depuis les 5 dernières années et développer le produit en respectant nos ressources.
Sans dire que nous n’irons jamais en financement externe, c’était à la fois symbolique et philosophique de réussir notre positionnement de produit et d’entreprise de façon organique pour s’assurer qu’il répond à un vrai besoin dans le marché, et non pas juste sur papier.
Contrairement à l’approche de plus en plus populaire de miser sur des financements de croissance par VC (Venture Capital) pour accélérer la croissance à l’aveugle, l’approche bootstrap nous force à rester agiles et à l’écoute de nos clients.
Bien que ça nous demande de dire non plus régulièrement sur les petites choses qui ne cadrent pas dans notre vision, ça a aussi le bon côté de générer beaucoup de discussions avec nos clients idéals. On peut ainsi prendre le pouls des besoins qui découlent des défis les plus urgents et importants pour eux.
Comment est-ce que la taille de l’entreprise a influencé l’évolution du modèle d’affaires?
(Jean-Philippe) Je vais laisser Mathieu élaborer davantage sur ça, mais en étant plus petits, on a réalisé avec le temps qu’on doit viser un marché plus précis que ce qu’on pensait faire au départ. Quand on a créé Didacte on rêvait de conquérir le monde et devenir le Shopify de la formation, mais on a réalisé que ce n’était pas exactement réaliste ni ce qu’on souhaitait comme modèle.
Ultimement je sais pas si c’est vraiment la taille de l’entreprise qui a mené à ce changement si c’est plus simplement qu’on a trouvé un accord entre notre produit et le marché différent de celui qu’on pensait au départ et qui est plus adapté à notre taille et nos valeurs.
(Mathieu) Arrimer le modèle d’affaires avec la vision et les ressources disponibles, c’est tout un contrat. Je suis arrivé dans l’entreprise quelques mois après sa création.
La première fois qu’on m’en a parlé, c’était dans l’objectif d’être sur le marché international le plus vite possible et conquérir le monde.
Le problème avec ça, c’est que si c’est la volonté réelle, ça prend des prérequis non négligeables et non négociables. Ça prend les ressources humaines pour le faire, ça prend l’argent pour aller chercher une visibilité significative, ça prend le bon moment pour faire une offensive agressive de pénétration de marché, etc.
Niveau budget marketing, on ne pouvait simplement pas nous battre à armes égales pour les marchés anglophones. C’est pourquoi on a décidé de réajuster le tir pour miser sur les avantages compétitifs que ces gros joueurs n’offraient pas : la proximité humaine, une expérience client bilingue à tous les niveaux, du service-conseil, etc.
Pour dominer le monde, ça prend une grosse machine de guerre avec beaucoup de gens à bord pour la faire fonctionner et pour l’instant, ce n’est pas spécifiquement un élément d’intérêt pour nous. Il y a encore beaucoup de marge à croître et optimiser par l’intérieur.
L’embauche est le dernier recours lorsque l’on ne peut plus optimiser de processus ou développer nos ressources actuelles.
Ça nous met donc dans une position ou, à titre d’employeur, on doit prioriser et valoriser le climat et les conditions de travail de chacun des membres de l’équipe pour en tirer le meilleur sans le faire au détriment de celui-ci.
On a des clients d’un peu partout dans le monde, et l’objectif à long terme reste de gagner plus de part de marché. Mais à court terme, on préfère se concentrer à avoir un impact direct sur les entreprises d’ici et solidifier notre positionnement à titre de plateforme #1 pour les PME québécoises avant d’aller courtiser les autres marchés plus sérieusement.
Est-ce difficile de demeurer agiles dans la prise de décision alors que l’équipe et la clientèle continuent de grandir?
(Jean-Philippe) Étonnamment, je pense qu’on s’en sort assez bien là-dessus!
Dans les dernières années, nous avons mieux segmenté notre clientèle et cela aide grandement à la prise de décision. Agrandir la clientèle et l’équipe nous a aussi forcés à améliorer nos processus internes.
On est arrivé à mieux segmenter la prise de décision entre le CA où l’on discute de la vision à long terme et ce qu’on appelle notre « table de décision » où l’on choisit plus dans le détail les projets à prioriser. Puis on a laissé tomber les grands roadmaps annuels pour se concentrer sur une méthode de planification et de choix de développement plus agile.
Mais il y a toujours place à l’amélioration et je souhaite entre autres qu’on travaille à sonder encore plus directement et régulièrement notre clientèle active. On est très à l’écoute de nos clients avec tout l’accompagnement qu’on offre, mais j’aimerais qu’on aille encore plus au-devant des besoins futurs.
Je ne suis pas encore certain du bon moyen, mais j’aime l’idée que les clients puissent plus facilement demander, commenter ou voter sur des améliorations et des fonctionnalités à venir.
Je pense que c’est une arme à double tranchant, car ça peut aussi créer de la frustration chez les clients qui auraient des besoins moins alignés avec notre vision ou nous rendre moins agiles si on se sent contraint par la popularité des demandes. C’est certainement des idées qu’on va brasser pour rester bien connecté avec les besoins de notre clientèle de plus en plus nombreuse.
(Mathieu) Je ne dirais pas que c’est dur. Être agile, c’est une façon d’être à mes yeux. Oui ça s’apprend, mais je pense que c’est juste inné pour ceux qui performent bien dans l’agilité.
L’équipe s’agrandit, mais on a le contrôle sur qui rentre dans l’entreprise. La clientèle grandit, mais on a un pouvoir d’influence sur qui on attire.
Bien évidemment, on ne peut plus gérer l’entreprise aujourd’hui de la même manière que l’on faisait quand on avait 5 employés.
Depuis janvier, on a revu la structure de l’organisation : on a réévalué les rôles et responsabilités, on a changé de méthode pour les prises de décisions des éléments qui concernent le produit, on devra bientôt revoir la cadence de certaines rencontres à plus haut niveau, etc.
Une entreprise, c’est une entité vivante à mes yeux, en constante évolution. C’est donc toujours en changement et c’est ce qui rend ça le fun. Ce qui a fait ton succès hier peut être ce qui te tue demain, tu dois donc toujours être en train de remettre en question.
En restant transparents avec l’ensemble de l’équipe et les clients, ceux-ci peuvent mieux comprendre, ou même contribuer, aux améliorations de gestion. Il ne faut jamais perdre de vue le fait que les décisions que l’on prend sont à la fois pour le bien de l’entreprise, mais également pour le bien des employés qui la composent et les clients qui en bénéficient.
Tant que tu respectes cette trilogie, les choses vont bien.
Si Didacte continue de croître au rythme des dernières années, quels seront les impacts dans les pratiques de gestion?
(Jean-Philippe) Pour les pratiques de gestion du développement et des opérations au jour le jour, on vient tout juste de changer notre approche comme discuté dans un article précédent. Je crois que cette nouvelle façon de faire pourra bien fonctionner même avec une bonne croissance future, autant de la clientèle que de l’équipe.
À la poubelle les grands roadmaps, vivement des décisions plus agiles et une équipe plus productive!
En ce qui concerne les pratiques de gestion RH, administratives et financières, on est encore en gestion de la croissance. On n’est pas encore à une taille ou c’est viable d’avoir des personnes dédiées à ces tâches alors on se les partage encore entre nous, mais on s’approche de plus en plus d’une taille où ça le serait.
En vue de ça, on commence à plus documenter, plus standardiser et même à déléguer petit à petit des éléments qui ont moins de plus-value à être faits à l’interne par notre équipe.
Par exemple, pour la comptabilité, c’est une tâche que je faisais précédemment, mais qui est maintenant presque entièrement déléguée à notre fournisseur externe (Mallette pour ne pas les nommer - bonjour à Gisèle, Émilie et Mélissa!).
(Mathieu) Même si on a une structure avec des rôles et responsabilités fixes, la réalité est qu’on inclut pas mal tout le monde dans les grandes réflexions de l’entreprise donc tout le monde peut dire son mot.
Plus l’entreprise croît, plus je vois le besoin de mettre en place un éventuel premier pallier de gestion pour mieux diviser et déléguer les tâches. Tout en maintenant cette transparence, la gestion par département nous permettra de gagner en efficacité lors des rencontres plus stratégiques sur le long terme.
Comme Jean-Philippe en a fait mention, certaines personnes portent encore plusieurs chapeaux en même temps, ce qui n’est pas forcément optimal. Certaines tâches sont faites par nécessité, et parfois au détriment du temps disponible pour faire les choses qui pourraient être à valeur ajoutée.
De façon très personnelle, j’aimerais en venir à avoir une structure qui me permettrait d’être exclusivement dans une position de coacher les directeurs et les laisser être meilleur que moi dans leurs créneaux respectifs. J’ai la chance d’avoir une équipe incroyable, je ne ferais pas mon travail si je n'exploitais pas les intérêts organiques de tous.
Il y a également un très grand sentiment de fierté qui découle du fait de voir ses employés progresser et se développer personnellement, au sein de son entreprise.
Au-delà des marges de profits et du pourcentage de croissance du chiffre d’affaires, cet élément est pour moi plus important que tout le reste et je vais veiller à ce que la croissance de l’entreprise soutienne toujours autant le bonheur de notre monde sur une base quotidienne.
Découvrez les autres articles de cette série dans la section Équipe du blogue.
Suivez, soutenez et optimisez le développement professionnel de votre équipe.